Évolution du concept d’Harmonie
par Rolando Toro
L’évolution du concept d’harmonie a été lente et erratique. En Inde, les idées de Bouddha introduisirent la recherche d’une harmonie interne, en résonance avec le cosmique.
La pratique de la méditation, c’est-à-dire de l’aptitude de rester en soi, vide d’intention, a permis d’élaborer toute une technologie du Nirvana.
La pratique de différentes formes de Yoga a facilité, chez certains, la possibilité de l’extase.
La Pédagogie grecque a proposé l’harmonie du corps et de l’âme, exprimée avec une force sereine dans les sculptures de Praxitèle.
Pythagore, en découvrant l’échelle tonale, a fixé l’ambition grecque de reproduire la Symphonie Cosmique.
L’Orphisme et les disciples de l’école Pythagoricienne se sont regroupés autour de l’ambition d’atteindre la connaissance de l’harmonie ontoscomologique.
Sans doute, tout l’effort des êtres humains en recherche d’harmonie s’est canalisé historiquement sur le versant cognitif.
Depuis les présocratiques qui cherchaient l’Unité de l’Homme, jusqu’à Einstein, avec son intuition reconnue sur le Champ Unifié, le concept d’harmonie s’est développé comme une expression d’un solipsisme paradoxalement dissocié.
Nous assistons actuellement à un spectacle désolant : face au chaos et au désordre biologique et social, des milliers d’hommes, en différents lieux, cherchent l’harmonie dans la contemplation solitaire, en silence, immobiles, en répétant des mantras ou avec un regard fixé sur un mandala.
Cette situation révèle tout un état de désorientation profonde et une méconnaissance de ce qu’est l’harmonie. Personne ne rencontrera l’harmonie sinon par des actes de rencontre et de lien qui permettent d’unifier les parties isolées. L’harmonie est un mouvement – amour, une fonction hypothalamique de communication et de contact, un risque, une lutte et une protection pour établir des ponts à travers lesquels circule l’énergie vitale. Nous arrivons ainsi à un nouveau concept d’harmonie dont l’unique instrument est la caresse. Une harmonie pulsante, fluide, intime, chaude ; une harmonie dans laquelle chaque individu rencontre l’Amnios, le semblable qui le contient.
Il n’y a pas d’harmonie solitaire, silencieuse et immobile. Cette harmonie fut l’héritage malade de Parménide qui, à son tour, l’a reçu de l’Orient.
Qui pourrait sérieusement trouver l’harmonie alors qu’on torture son frère ? L’harmonie, il faut la chercher au milieu du chaos et du stress, parmi les gens désespérés, affamés, blessés, manquant d’amour. Il faut chercher l’harmonie comme une lumière dans l’obscurité, parmi des millions de malades, parmi les persécutés et les humiliés de la terre.
Il est nécessaire de courir jusqu’à eux et de les embrasser, de les inviter à danser. Personne ne trouvera un atome d’harmonie ou de vérité dans la sérénité aseptisée et léthargique de sa méditation solitaire.
L’intégration est la recherche de relation des parties avec le tout, pour augmenter la perfection du tout.
Nous sommes arrivés, enfin, à une forme évoluée d’harmonie : la proposition d’Héraclite, l’harmonie de l’éternel retour, de l’éternelle renaissance, l’harmonie en mouvement: « Nous ne nous baignons pas deux fois dans les mêmes eaux ». Et nous pourrions dire: …Nous ne fluons pas deux fois dans la même harmonie.
La technique d’harmonie profonde est la connexion à la vie par le mouvement, la musique, le regard, le contact, le sourire, l’étreinte, la danse. L’harmonie c’est renaître en l’autre et dans la nature.