Quelle impulsion profonde nous a guidés pour que, malgré toutes les difficultés qui se présentent, nous soyons amenés à organiser notre vie pour être heureux ici et maintenant, en pratiquant la Biodanza.
Nous avons des raisons superficielles qui ont justifié de façon très convaincante toutes les actions qui nous ont éloignés de nous-même ; mais il est toujours possible de se reconnecter avec les motivations profondes de notre vie.
On dit que la Biodanza est un chemin d’accès à notre identité, comme si elle était un lieu ou un état où nous devrions arriver. Il y a certainement quelque chose de cela, mais je crois que la métaphore est incomplète.
Notre identité n’est pas un chemin épistémologique, de se connaître soi-même, comme le disait Socrate, ni un chemin ontologique, d’être et de non être comme se le demandait Hamlet. C’est à mon avis une stratégie éthique et esthétique et, plus précisément, d’être en plénitude ou de n’être qu’à moitié, de fleurir intégralement ou d’être un bonzaï de notre existence.
Nous sommes dans ce monde pour nous créer nous-mêmes, dirait Maturana. Quel défi! Se créer soi-même est la tâche et ce n’est pas un chemin solitaire, pour être humain nous avons besoin d’autres êtres humains. C’est cette interaction entre humains qui, à la base, rend possible ou inhibe notre autopoïèse, et c’est là que la Biodanza prend toute son importance.
Ce n’est pas seulement la forme qui nous parle de notre développement biologique, ni nos actions, ni la réussite1 ou l’échec personnel et social.
Qui peut dire avec une précision acceptable si l’existence de telle ou telle personne est pleine ou non, si elle est sur un chemin correct ou si elle se trompe, quand il y a tant de directions correctes et fausses possibles ?
Avec quels paramètres l’ami ou le père, le thérapeute ou le facilitateur de Biodanza, peut-il donner un conseil opportun ? Quel mystère !
Malgré l’aide précieuse de ces personnes, c’est seulement chacun d’entre nous qui pouvons percevoir ou sentir si nous sommes dans le moment et le lieu adéquat en un instant déterminé.
Pour l’univers, quelque fois, ce qu’il arrive à chacun d’entre nous n’est pas important, c’est même insignifiant. Mais à chacun de nous, ce qui nous arrive est extraordinairement important.
J’appelle stress existentiel ce carrefour dans lequel s’arrête la manifestation de notre identité, parfois un instant, parfois un instant cosmique qui peut durer une vie. Par moments nous tournons en rond, parfois nous restons paralysés. C’est comme si nous ne savions pas que faire, nous ne savions pas où aller…
Nous nous mettons à penser et cela ne nous sert pas à grand-chose. La prise de décisions existentielles n’est pas un problème de pensée, ni de sentir, c’est une instance plus globale de notre identité comme l’unique et le multiple (Plotin) en même temps. Comme le dirait Nietzsche, chacun de nous a un unique message à transmettre dans sa vie et je suis d’accord, mais nous pouvons le faire de nombreuses manières différentes, parfois même nécessairement de nombreuses façons différentes.
Peut-être y a-t-il ici une clé pour ces carrefours où se manifeste le stress existentiel ; un chemin se termine, peu importe si nous l’avons traversé bien ou mal, avec succès ou non, et l’autre commence, il est tout autant le mien que le précédent mais différent.
Je crois que c’est dans ces moments où les personnes se trouvent les plus perdues, et particulièrement celles qui ont atteint leurs objectifs et pensaient que si elles faisaient « les choses bien », ce chemin serait là toute la vie.
Le mystère de l’existence apparaît dans sa plus grande splendeur dans ces moments de claire incertitude.
Au lieu de naviguer sur Internet ou dans les îles du Pacifique, nous naviguons dans ce mystère, nous laissant porter par les vents (rêves), les courants qui surgissent des profondeurs (instincts) et en nous guidant avec les étoiles. Etre guidé par les étoiles, comme le faisaient les anciens navigateurs, est la métaphore de connexion avec les désirs du cœur (désir = de-siderio = relatif aux étoiles).
Nous avons besoin d’une orientation existentielle. Quelqu’un peut-il la donner ?
Je crois que ce n’est pas la tâche d’élus, ni de professionnels, mais le fruit de vraies rencontres où l’un est le phare de l’autre. Naviguons dans l’intimité de ces rencontres en nous animant à l’écoute du chant des sirènes, et orientons notre perception vers les ports de l’amour (éthique) et de la beauté (esthétique) qui apparaissent dans l’horizon de notre existence.
Raul Terren