Esprit et nature: une retrouvaille ?
Notre vision du monde actuel est fortement marquée par des dichotomies, séparant corps et âme, matière et esprit, nature et humanité, sacré et profane, immanence et transcendance, etc.
Je comprends que ces dichotomies sont plus une indication de polarité que d’opposition de contraires ou de séparation d’unités isolées. La transition d’un pôle à l’autre fait partie du cycle vital et de notre vivencia quotidienne. Notre être, comme un tout, peut passer de la vigilance au sommeil, de la pleine conscience à la rêverie, de la perception concrète du réel à la dissolution mystique dans la transcendance.
« N’oublie pas que la goutte peut savoir qu’elle est dans l’océan mais elle se rend rarement compte que tout l’océan est en elle » (Ma Amanda Moy, citée par Graf Dürkheim dans « Dialogue on the path of initiation »). La possibilité de percevoir que nous sommes la goutte et que nous sommes tout l’océan est ce qui nous permet à la fois le contact conscient avec la réalité et le fait de se fondre dans le tout auquel nous appartenons. Si nous acceptons donc, avec Bateson, la nécessité d’une union, comment promouvoir cette rencontre, cette fusion, ce retour à la conception d’une unité ?
En tentant de faire une réflexion personnelle, je me suis reporté à un livre publié en 1980 par Marilyn Ferguson et intitulé « La conspiration du Verseau ». Dans ce livre, l’auteure se réfère à l’apparition de groupes de discussion et de réflexion, de révision philosophique, de recherche de retour aux valeurs humaines et d’effort pour améliorer les relations sociales. Elle écrit :
« un réseau souterrain travaille pour créer un type de société différent, basé sur un concept amplement élargi du potentiel humain ».
Elle a eu l’intuition et constatait en même temps que, dans ce moment historique, arrivait un mouvement souterrain, subversif, conspiratif, de personnes qui cherchaient à retrouver leur « humanité », c’est-à-dire leur caractéristique d’ « être humain », dans un monde qui semblait l’avoir oublié.
En me demandant « qui suis-je ? », je décide de considérer d’abord mes caractéristiques dites biologiques, soit ce qui en moi est défini comme « nature ».
Je suis un être vivant, un organisme où des parties sont organisées pour former un tout. Je suis un animal, ce qui veut dire que je suis classé comme appartenant à un des cinq règnes biologiques. Je suis sensible, ce qui signifie que je perçois mon environnement (milieu ambiant) par des mécanismes sensoriels (sens) coordonnés par un système nerveux, et avec ces éléments je me mets en relation.
En tant qu’organisme animal sensible, je suis le résultat de multiples coïncidences et de rencontres. Avant moi, d’autres organismes animaux ont senti mutuellement leurs présences, se sont liés et ont créé mes ancêtres. Ainsi, en plus de faire partie du corps de mes parents (deux cellules vivantes qui fusionnèrent), je fais partie de tous ceux qui m’ont précédé car, dans cette continuité, il n’y a pas d’interruption du flux de la vie. Paradoxalement, je suis tous mais je suis unique. Pour la génétique, je suis un résumé de toute l’humanité qui m’a précédé dans ma lignée. Pour l’identité, je suis unique, sans qu’il n’y ait personne pareil à moi. Si j’examine ma structure matérielle, je vois que mes molécules organiques sont formées par les mêmes atomes qui forment le restant de la matière de l’univers. Ces atomes, selon les théories les plus récentes, furent et sont générés dans les processus d’évolution d’une étoile. Ainsi, matériellement, de manière atomique, je suis enfant des étoiles, rejeton de l’univers. Mes caractéristiques matérielles et biologiques définissent ma nature : un être qui manifeste la vie. Ma nature est de manifester la vie en moi… Pour continuer, j’en viens à considérer en moi un autre type de caractéristiques. Par le fait de « me rendre compte », d’avoir une conscience, de pouvoir penser et réfléchir, j’ai des caractéristiques qui peuvent être appelées existentielles, ou quelque chose que nous pouvons appeler « esprit ». Je ne me réfère pas ici à une entité séparée de mon corps, mais à ces caractéristiques qui me distingue des autres animaux de mon groupe biologique et qui me permettent d’être appelé « être humain ».
En étant humain, je me perçois avec un potentiel d’évolution individuelle, avec une capacité de créer des choses nouvelles et de transformer mon entourage à partir de projets inédits, bien plus que l’action instinctive des autres animaux. Mon animalité peut donc être « spiritualisée ».
Ma sensorialité se transforme en « sensibilité ». Mes instincts s’expriment en « émotions » qui évoluent vers des « sentiments ». En tant qu’humain, je suis un être de conscience et d’imagination. Et en moi se manifeste une aspiration à quelque chose de plus, à la « perfection ». Cette aspiration me pousse à chercher mon essence, à « aller au-delà » de moi-même, pour la rencontre de mon esprit. Mon esprit est la transcendance de moi-même.
« Etre animal ne nie pas le spirituel ; il le rend possible en tant que mode de vie ; les machines ne sont pas des animaux et n’ont pas de vie spirituelle possible, nous nous pouvons avoir une vie spirituelle précisément parce que nous sommes des animaux et en tant qu’animaux nous avons un mode de vie spirituel ».
Néanmoins, le chemin à faire ne peut être que celui de l’authenticité, sans modèle (car personne n’est comme l’autre) mais avec un principe guide, auquel je me référerai ensuite. Le chemin de l’authenticité demande une connexion profonde à soi-même, demande de percevoir ma capacité de sentir, de m’émouvoir. Dans cette connexion avec mes émotions, je perçois plus profondément ma nature qui est de manifester la vie. La vie, pulsant en moi, est un phénomène si extraordinaire, si merveilleux qu’il est vraiment ce qu’on peut appeler un miracle. En me regardant en tant qu’être vivant, je perçois toutes les potentialités de mouvement (dans les gestes), de locomotion (dans la marche), de perception (dans la vue et l’ouïe), de communication (dans la parole), de la rencontre avec l’autre (dans la reconnaissance et dans l’amour).
La vie en moi prend alors une valeur suprême, le principe guide de ma marche en recherche de l’essence. La valeur immense de ce don précieux m’inspire à prendre soin de moi, à la protection de mon être physique (corps, santé) et spirituel (« âme », essence). Da la même façon, il me révèle les potentiels de vie avec lesquels je peux me connecter et vivre plus pleinement. Les caractéristiques de ces potentiels, je les ai cherchés chez Rolando Toro, éminent psychologue et anthropologue chilien, créateur de la Biodanza :
– la sensation euphorique d’être vivant et l’élan vital qui me fait être-dans-le-monde avec courage, joie et enthousiasme – ma Vitalité ;
– le plaisir sensoriel de me relier avec le monde et avec les autres en manifestant ma capacité de désirer, de rechercher et de savourer les bonnes choses de la vie – ma Sexualité
– la possibilité de créer de nouvelles choses, de participer à la transformation du monde, de m’exprimer par l’art – ma Créativité
– la joie de la relation affective, de l’amitié, de l’amour, du lien avec mes semblables, de la solidarité et de l’altruisme – mon Affectivité
– l’aspiration à la transcendance par la recherche d’une harmonie existentielle et d’une intégration à l’humanité et à l’univers – ma Transcendance.
La vivencia la plus remplie de ces potentiels de vie n’est possible que dans la relation à l’autre car c’est l’autre qui me reconnaît, qui m’identifie. L’identité est l’être-soi-même-dans-le-monde, est présence perçue, est être ici et maintenant en se sentant et en étant reconnu par les autres. L’identité n’existe donc que face à une autre identité. Etre face à l’autre, en vivant mon identité et en permettant à l’autre de vivre la sienne par ma reconnaissance, c’est réaliser ce que Maturana appelle une configuration particulière dans la façon de s’émouvoir.
L’amour est donc un potentiel de vie et une expression de l’esprit, il est le fondement biologique de la cohabitation et de la manifestation transcendante de l’être humain. Ainsi à nouveau, mon esprit est la transcendance de moi-même. Ma nature est de manifester la vie en moi.
Seule la vie se manifeste réellement dans la rencontre, dans l’amour.
Ainsi, l’amour exprime la nature et l’esprit.
Dans l’amour, ma nature est l’esprit.
Ceci est une retrouvaille, la synthèse, l’annulation de la dichotomie, l’unité nécessaire.